• Communication : ne pas se tromper d'étage…

    Communication
    De la communication de papa à celle du IIIe millénaire


    Même avec les meilleurs atouts, on ne peut pas gagner la partie quand on ne voit pas qu'elle se joue sur un autre terrain
    que celui où l'on croit jouer… Un tel décalage est fréquent dans différents domaines, notamment celui de la communication. Devenue incontournable dans notre société "en flux" (flux d'informations, flux de relations…), elle a pris de nouvelles formes et même elle a changé de nature. Les enjeux de ces changements sont si lourds que notre lucidité à ce titre conditionne le sens et l'utilité de ce que nous entreprenons - dans la gouvernance et le management des institutions et des entreprises, comme dans les conduites de vie des personnes. Autrement dit, que se passerait-il si l'on se trompait de communication ?

     
     

    D'abord, distinguons trois registres : zoom arrière.

    A la base, la communication de persuasion sert de "lubrifiant" pour faire passer des messages, des décisions, des innovations, etc. tenus pour préalablement "ficelés" : on veut que l'interlocuteur les connaisse (information), les comprenne (explication), les applique (instruction), y adhère (conviction)... En un mot, pour éclairer, convaincre ou soumettre un acteur, on va tout simplement lui transmettre des données ou des connaissances, des renseignements ou des ordres...

    Plus élaborée, la communication d'influence se pose en "carburant" pour faire changer ces messages, décisions ou innovations. Alors que la réclame les informait sur des produits, la publicité veut conditionner les clients, agir sur leurs motivations, pour influencer leurs choix ; alors que les relations publiques visaient à informer ou convaincre des "décideurs", le lobbying veut influencer les mécanismes qui produisent des décisions ; etc. Autrement dit, pour susciter, infléchir ou contrer des messages, décisions ou innovations tenus pour malléables, on va tenter de modifier des comportements d'acteurs -individuels et collectifs- par une action, plus en amont, sur les processus psychiques et politiques qui déterminent leurs choix.

    Encore plus élaborée, la communication de coopération est un "comburant" pour faire émerger collectivement des messages, décisions ou innovations, en agissant notamment sur des processus organisationnels ou institutionnels. Cette fonction est particulièrement importante et délicate dans une société en réseaux, où la frontière s'estompe entre processus décisionnels et coopératifs : ceux-ci contribuent à ceux-là, ceux-là évoluent pour mieux alimenter ceux-ci... S'y ajoutent les éventuelles interférences de processus techniques, par exemple dans des démarches coopératives de type Web 2.0. En résumé, cette forme de communication devient le passage obligé pour élaborer des messages, décisions et innovations "appropriables et appropriés", fiables et pérennes parce que reconnus pertinents et légitimes par les intéressés.

     

    Complémentaires mais distinctes, ces trois approches de la communication seront combinées - mais surtout pas mélangées, car il importe de respecter leurs particularités. Si on les confond ou si "on se trompe de communication", on va produire l'inverse de ce qu'on vise. Cas fréquent lorsqu'on se limite au 1er registre (persuasion) : plus on veut persuader, plus on va dissuader. Pire, on ne s'en rend même pas compte : alors, on en rajoute… et on s'enlise davantage. Ainsi, on peut penser au déficit de confiance et de crédibilité dont souffre la classe politique qui de cette façon, entre autres, a réussi à faire voter "contre l'Europe" un électorat très majoritairement pro-européen (lors du référendum sur la Constitution européenne : en réalité, ce vote sanctionnait cette classe politique décrédibilisée en rejetant la solution qu'elle préconisait quasi-unanimement) ! Il en va de même au quotidien, tant dans les relations parents-enfants que pour la mise en œuvre de l'innovation en entreprise ou les résistances au changement dans l'organisation sociale. Exemple de traduction opérationnelle : le lobbying sera très différent selon qu'il reste sur le terrain de la communication d'influence et joue dans le système, individuellement, ou qu'il s'engage sur le terrain de la communication de coopération et agit sur le système, collectivement...

    Quelle peut être la portée de vos arguments (1er registre), quand votre interlocuteur est dans une démarche de manipulation (2e registre) ? Que pouvez-vous espérer d'un électorat que, dans une communication de 2e degré, vous croyez berner par de grossières diversions, alors que, se situant au 3e degré, plus ou moins inconsciemment, il les a décodées (ce que vous refusez de voir) et attend de vous un projet pour la collectivité (et non de l'illusionnisme démagogique) ? Etc.

    Un court schéma peut éviter de longs discours. Trois schémas éviteront donc trois discours…

    Schéma 1 - Différents registres, différentes finalités, différents ressorts…

    Communication : ne pas se tromper d'étage - schéma 1

    1. La communication de persuasion s'adresse aux idées de l'interlocuteur, supposées déterminer objectivement ses comportements, eux-mêmes supposés "rationnels". Sous-entendu : quand il aura compris, il fera "comme il faut"… Généralement, elle s'exerce directement dans la relation entre l'émetteur et la cible : on agit par le discours sur son discours, dont l'évolution traduira l'évolution de ses choix, de ses décisions, de ses actes. Quelques exemples courants :

    • la publicité de type réclame ou hard selling, qui vise à augmenter les ventes en délivrant une information pour faire connaître l'existence du produit, ses performances, son prix…
    • la plaidoirie de l'avocat, qui tend à démontrer que son client a raison…
    • la profession de foi politique, qui s'emploie à convaincre l'électeur que le candidat est le meilleur…

    Bien que peu efficace, voire contre-performante, surtout dans les situations complexes, cette communication reste très prisée - comme s'il suffisait d'énoncer une vérité ou une règle pour qu'elle soit acquise.

    2. La communication d'influence s'intéresse plus largement aux motivations individuelles et relationnelles de l'interlocuteur, à ce qui le fait courir, particulièrement au plan psychique (envies personnelles, plaisir, angoisses, image…) et au plan politique (objectifs sociaux, pouvoir, sécurité, image…). Sans exclure la persuasion directe, elle s'exerce plus indirectement, en agissant avant tout par et sur des processus psychiques et politiques qui sous-tendent la relation - par exemple par la séduction ou la manipulation, sur des désirs ou des relations de pouvoir… Quelques illustrations :

    • la publicité suggestive fondée sur le charme, la puissance, l'image, le rêve…
    • le programme TV complaisant visant à rendre le cerveau humain disponible pour d'autres messages…
    • ce qu'insinue l'avocat, non-dit ou understatement, en complément de sa plaidoirie …
    • les faveurs - ou perspectives de faveurs, éventuellement illusoires - promises par le candidat…
    • les diversions médiatiques au service d'un système politicien...
    • le détour par un tiers influent en lobbying classique...

    Ces ressorts élémentaires trouvent leurs limites quand on s'élève sur la pyramide de Maslow, individuellement ou collectivement... En démocratie, la pédagogie contribue à cette élévation. Contrairement à la démagogie, qui vise la régression - par exemple en jouant sur la peur (de l'étranger, du terroriste, du voleur, du libre-penseur déviant, du jeune...) pour favoriser des manipulations sur fond de diversion sécuritaire ou poujadiste.

    3. La communication de coopération appréhende l'ensemble de ces données objectives et subjectives, ainsi que bien d'autres paramètres qui caractérisent les processus collectifs complexes et les projets qu'ils produisent. Non seulement des processus décisionnels, mais aussi des processus coopératifs, associés à l'émergence ou à l'évolution de problématiques aussi variées que l'éclatement de la décision, le rôle de la société civile ou du soft power, l'évolution de la gouvernance ou du smart power, l'émergence de partenariats évolués ou de réseaux assembleurs…

    Schéma 2 - Problématiques, registres, vecteurs : une alchimie subtile

    Du fait des particularités de chacun de ces registres de communication, les diverses démarches ou méthodes seront plus ou moins efficaces selon le contexte. La dialectique sera particulièrement efficace en communication de persuasion. Sa maîtrise restera nécessaire en communication d'influence (selon des modalités différentes, car il ne s'agit plus ici de "convaincre au premier degré"), mais une action indirecte par/sur les processus relationnels pourra être beaucoup plus déterminante. En communication de coopération, de la même façon, l'une et l'autre céderont le pas à la vision prospective.

    Communication : ne pas se tromper d'étage - schéma 2

    Ainsi, l'art de communiquer en situation complexe suppose non seulement une maîtrise de différents vecteurs, mais surtout une aptitude à élaborer une alchimie subtile qui combine -sans les mélanger- des vecteurs distincts sur des registres différents (> www.algoric.eu/a/lobbyings). Au-delà de la transmission (1er degré) ou de la manipulation (2e degré), l'une et l'autre réductrices, on peut réhabiliter la communication par le recours aux démarches plus élaborées qui font sa noblesse en fondant l'efficacité sur les synergies (3e degré) plutôt que sur l'autisme ou l'instrumentalisation... 

    Schéma 3 - Application : une gouvernance élaborée

    Les processus décisionnels simples sont très appréciables… dans les situations simples. Un chef est désigné, il ordonne, les autres obéissent : c'est un processus bien adapté à une mission de commando. Par contre, du fait de sa complexité, la gouvernance d'une grande collectivité, d'un Etat ou d'un ensemble pluri- ou post-national suppose des processus de gouvernance plus complexes. Il est illusoire, sous peine d'inefficacité et de graves dérives, de tout attendre d'un "chef", président de la République ou guide suprême ; ou, dans l'approche de questions inter- ou supra-nationales, de s'en remettre à des rencontres "au sommet" ou autres formes dégénérées du Concert des Nations. Ces pratiques sont aux antipodes de l'intelligence institutionnelle déployée après la 2e Guerre mondiale (années 50 à 70), particulièrement dans l'approche communautaire de la construction européenne… par la suite suivie d'un retour en force de la concertation interétatique la plus rudimentaire, aujourd'hui plus forte que jamais alors qu'elle a prouvé son manque d'efficacité, de pertinence et de légitimité.

    A l'opposé de ces anachronismes, les modes de gouvernance modernes reposent notamment sur des processus décisionnels et coopératifs sachant combiner nos trois registres dans des démarches ingénieuses de communication stratégique et prospective.

    Communication : ne pas se tromper d'étage - schéma 3

    Voir notamment :

     

     
     
     
     
     
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